Voilà un drôle de titre !
Les banalités de la haine et de l’amour. Deux notions vastes qui peuvent être attrapées par différents points de vue. Mais quel est mon désir derrière cet écrit ?
Un voyage initiatique ? N’est-ce pas cela que nous effectuons durant une cure analytique ? L’initiation, n’est-ce pas des passages ?
Mais là, je suis seule face à ces moyes. Quel joli lapsus ! Moye à la place de mot. Moye qui signifie « un morceau doux d’une pierre dure ». Cette union entre la dureté qui s’enchaine avec les mots comme pour écrire une histoire, et cette douceur que l’espace vide laisse jaillir.
Attachée à des banalités, ma réflexion prend sa source. Elle émerge du plus profond de mon océan, espace d’expériences multiples dans lequel chaque goutte de pluie est venue m’enrichir.
Difficile de nommer son désir, il est inaccessible mais il nous fait avancer, dépasser les épreuves et grandir chaque jour un peu plus. Lacan nous l’a démontré, le désir est issu de cette béance entre un besoin et une demande.
Alors, je peux peut-être nommer ceci : mon besoin, sortir de ce mal. Mais de quel mal je parle ?
Celui qui renvoie au fait d’agir « d’une manière contraire à la loi morale, à la vertu, au bien », et qui emprisonne « Tout homme qui jouit d’une prospérité mal acquise et qui a fait un pacte avec l’Esprit des Ténèbres, et légué son âme aux enfers. »[1]
Ne disons-nous pas, lorsque nous vivons un conflit ou un évènement traumatique « je vis un enfer » comme si qu’un diable tirait les ficelles. Ce diable qui « au IVe siècle avant J.-C., dans la traduction grecque de la Bible, le terme Satan fut remplacé par diabolos, qui signifie « celui qui s’oppose, qui sépare » ou « celui qui est jeté à travers, qui fait obstacle »[2]. Donc ce mal qui nous clive.
Paradoxalement, il est appelé aussi Lucifer, « nom latin signifiant « porteur de lumière », composé de « lux(lumière) » et « ferre (porter) », qui désigne une entité mythologique. »[3]Donc ce mal qui dévoile. Dévoile quoi ?
Ces situations vécues comme venant d’un fait extérieur ? Ne seraient-elles pas là pour nous aider à voir et dépasser nos propres limites et sortir de nos enfer-me-ments ?
Ou s’agit-il de celui qui représente cet « Être vivant organisé pour féconder, dans l’acte de la génération. Individu du sexe masculin, par opposition à la femme. Homme vigoureux, moralement ou physiquement, en particulier caractérisé par la puissance sexuelle. »[4] De quoi je parle, du pénis ou du phallus ?
Il est certain, cette démarche que j’entreprends m’interpelle sur une réalité dans laquelle j’ai été sous emprise et où j’observe beaucoup de personnes engluées dedans. Celle de la banalité. Terme issu de l’assujettissement en 1550, par « le droit du seigneur d’assujettir ses vassaux », pour devenir en 1793 le « caractère de ce qui est banal, commun, vulgaire »[5], et qu’elle fut ma surprise de découvrir l’usage de ce terme dans les chemins de fer. « Le régime de banalité dans le domaine ferroviaire est le fait que n’importe quelle équipe de conduite peut conduire n’importe quelle locomotive.[6] » Là, je comprends le titre de l’ouvrage d’Hannah ARENDT, « La banalité du mal. »
Je me suis appuyé sur les travaux de cette dernière, repris par Martine LEIBOVICI [7], qui présente la banalité du mal comme « une non-réflexion sur le sens de ce qui arrive aux autres et ce que je fais. Un refus de revenir à la signification de ce que je fais. Les formulations utilisées éloignent de la réalité. »
Cette présentation est intéressante car elle fait entendre que cette banalité du mal s’inscrit dans les relations interpersonnelles dysfonctionnelles. Des interactions dans lesquelles se met en place une inversion de la morale, une disparition de la loi, une identification, voire une fanatisation à un autre, une perte de soi dans ce dernier. Hannah ARENDT évoque dans ce processus l’importance du langage, de l’appropriation d’un vocabulaire qui aliène la personne, la clive d’elle-même.
Pénis, phallus, assujettissement, absence de sens et de loi, perte du moi, aliénation, clivage ? J’espère que vous n’avez pas envie de fuir et jeter ces mots à la poubelle. Je vous invite, ensemble à trouver notre courage pour découvrir ce qu’i se cache derrière tout cela. Vous me suivez ?
Assez fière de la bonne élève que je crois être, me voilà partie à la conquête de la rationalisation.
Vous savez ce mécanisme de protection qui consiste à être dans la « justification logique, mais artificielle qui camoufle, à l’insu de celui qui l’utilise, les vrais motifs (irrationnels et inconscients) de certains de ses jugements, de ses conduites, de ses sentiments, car ces motifs véritables ne pourraient être reconnus sans anxiété. »[8]
Waouh ! J’en ai des frissons ! Qu’est-ce qu’il se cache dans mes profondeurs ?
De cette volonté de rationalisation, pointe son nez à la surface de l’océan, l’intellectualisation, sa petite sœur. Celle qui a recours à « l’abstraction et à la généralisation face à une situation conflictuelle qui angoisserait trop le sujet s’il reconnaissait y être personnellement impliqué. »
M… alors ! Je suis vraiment malade !
Ce besoin de compréhension est vraiment là. Comprendre comment nous – désolée, je vous emmène avec moi – arrivons à être sous emprise de cette banalité du mal !
« Pour R. DOREY (1981), la relation d’emprise se découpe en quatre séquences distinctes : appropriation, dépossession, domination, soumission. De façon plus ou moins explicite, plus ou moins avouée, le but visé par cette manœuvre est la neutralisation du désir d’autrui et l’abolition de l’altérité, soit par la séduction, soit par la force. »[9]
Je plonge un peu plus dans les profondeurs, grâce à la lecture psychanalytique qui apporte une perception plus subtile de ce processus d’aliénation. Oui, je l’ai lâché le mot qui fait peur : « être aliéné ».
Françoise DAVOINE[10] dans sa pratique psychanalytique, explique l’impossibilité pour les personnes qui crée cette emprise, d’accéder au registre symbolique. « Cette altérité meurtrière pour qui l’autre n’existe pas rend inopérante la neutralité bienveillante avec échos signifiants du désir refoulé. Car aucun autre ne répond à l’appel lorsque s’écroule le registre symbolique. Un écroulement qu’Arendt appelle « moral collapse », où les gens sont traités comme des choses et des statistiques. Or, le plus effarant, c’est qu’aux moments critiques dont je parle, cette instance perverse s’installe à ma place (…) créant l’arrêt du temps produit par la rupture de la chaîne symbolique. »
Ce phénomène crée chez les sujets, de la soumission : « Dans une analyse de psychose ou de trauma- qui relèvent du même champ de destruction de toute altérité, à quelque échelle que ce soit- nous nous heurtons souvent à la soumission (…) permettant l’inscription de vérités falsifiées par le discours de la perversion dans la mémoire qui se souvient car elle peut oublier .
Voilà que désormais, je tente d’apprendre à nager dans l’obscurité des profondeurs.
Dans toute ma démarche théorique, dont je vais vous épargner les lectures, mais plutôt vous inviter dans mon voyage d’élaboration. Je l’ai débuté en partant de la vie intra-utérine et de l’importance des ressentis que l’embryon, et ensuite le fœtus, incorpore.
Les réflexions de Jean Marie DELASSUS[11] apportent une lecture sur le développement psychique du fœtus. Et comment ces ressentis s’inscrivent par la répétition. Il met entre autres l’importance de la vision et de l’ouïe « D’abord ce n’est pas du bruit, du tapage, du remue-ménage. Ce sont des choses familières, permanentes, même si elles connaissent des intensités, des densités variables. En tout cas, ce sont d’abord des rythmes. Les ondes qui passent vont et viennent, battent, marquent des temps, reviennent. Et tout cela dans leur homogénéité à elles, qui est constante à sa manière, qui a la constance des rythmes. Le fœtus baigne dans ces alternances, dans ces cadences, flux et reflux, pulsations vitales (…) Pour la vision « il faut avoir une conception prénatale, correspondant au vécu fœtal. La différence tient au fait qu’en milieu prénatal ce qui est à voir n’est pas devant l’œil, mais en deçà. L’œil est investi par des sensations antérieures à lui, en amont de lui, lesquelles suscitent sa vision sans qu’il n’ait rien à voir. »
L’enfant naît-il déjà prédisposé à son environnement, et aux épreuves auxquelles il va se confronter durant sa vie ? Nous voyons ici l’importance des prémisses d’une disposition psychique.
Dans le développement de l’enfant, je me suis rapprochée de Mélanie KLEIN[12] qui apporte une autre réponse, lorsqu’elle évoque cette première relation entre la mère et le nourrisson « le premier objet d’amour et de haine du bébé, sa mère, est à la fois désiré et haï avec toute l’intensité et toute la force qui sont caractéristiques de ses besoins primitifs (…) il s’agit, en fait, de son expression initiale. Lorsque cependant le bébé a faim et que ses désirs ne sont pas satisfaits, ou bien lorsqu’il éprouve une douleur physique ou de l’inquiétude, la situation change brusquement. Haine et agressivité s’éveillent. »
Quelles sont donc nos relations avec nos premières images d’amour, la mère ? le père ? leurs substituts ? Je repense à ces deux femmes, d’âge avancé, ayant construit leur vie sur l’image d’une mère idéalisée, qui n’arrivent pas à faire leur deuil, malgré les années. Ou ces autres, qui ne répondant pas au désir de leur mère, deviennent leurs mauvais objets. Et aussi cette mère qui s’enferme dans une relation de toute puissance, voulant que ces enfants restent avec elle dans la prison qu’elle s’est construite elle-même. Selon Philippe COLLINET[13] Lacan a pu dire « Le désir de la mère est le phallus. L’enfant, quel que soit son sexe, veut être le phallus pour la satisfaire. » Oh ! Phallus imaginaire ![14]
Échouée sur une ile déserte, je jette une bouteille dans l’océan, écrit en gros dessus SOS. La haine vient prendre la place du mal. Ça peut faire peur ! Surtout comme le précise Colette SOLER[15] « Freud a présenté la haine comme le premier affect de la rencontre avec ce qui est étranger (…) La haine c’est du solide, ce n’est pas du fluide et la haine n’est pas non plus un mystère. On sait ce qu’elle veut, elle veut détruire ce qui est impossible à supporter de l’être de l’autre dans sa différence, dans ce qu’il comporte, l’autre toujours de jouissance propre, que ce soit celle de son symptôme ou de son dire, et la haine ne se cherche même pas d’alibi ». Elle précise que le discours de la haine « ne fait que l’exprimer. Et quand elle parle de la haine, c’est pour viser, pour inciter à l’acte. L’acte qui obscurément et dans l’immédiateté, sans médiation, vise ce qui de l’autre « se pose là. » Ce qui se pose là de son unarité différente (…) cette unarité, c’est le même que l’amour s’emploie à méconnaitre pour faire fusion, union. » C’est ici que la relation ambivalente entre la haine et l’amour prend corps. »
Donc, si je comprends bien, la haine et l’amour nagent ensemble. Dans toutes relations interpersonnelles, si une toute puissance phallique se crée dans la relation, la haine à toutes les chances de grandir. Si la castration, donc le symbolique se fait, l’amour a toutes les chances de s’élever. Seulement, tous les deux peuvent avoir le même effet, l’aliénation du sujet par rapport à l’Autre. Je comprends un peu plus la phrase de Lacan « Nous sommes bien tous d’accord que l’amour est une forme de suicide »
Mais continuons à dérouler cette pelote de l’haine, trouvée sur la plage. Les travaux de Nicolas ABRAHAM et Maria TOROK[16] nous présentent comment les secrets, non-dits, peuvent être transmis sans être dévoilés, donnant naissance à des psychoses, des névroses, des décès brutaux, des souffrances incompréhensives, des répétitions … et laissant place à cette banalité du mal qui s’installe dans l’inconscient individuel et collectif.
Nicolas ABRAHAM et Maria TOROK présentent la création d’une crypte à partir de « Tous les mots qui n’auront pu être dits, toutes les scènes qui n’auront pu être remémorées, toutes les larmes qui n’auront pu être versées, seront avalés, en même temps que le traumatisme, cause de la perte. Avalés et mis en conserve. Le deuil indicible installe à l’intérieur du sujet un caveau secret. Dans la crypte repose, vivant, reconstitué à partir de souvenirs de mots, d’images, et d’affects, le corrélat objectal de la perte, en tant que personne complète, avec sa propre topique, ainsi que les moments traumatiques – effectifs ou supposés – qui avaient rendu l’introjection impraticable (…) Pour qu’il s’en édifie une, il faut que le secret honteux ait été le fait d’un objet, jouant le rôle d’idéal du moi[17]. Il s’agit donc de garder son secret, de couvrir sa honte ».
En résumé, la banalité de certains ressentis, affects, est inscrite en chacun de nous comme référence à notre milieu de vie, les conditions de notre vie fœtale, mais aussi des empreintes transgénérationnelles. Je peux dire, que cette banalité des ressentis du plaisir et déplaisir, est un quelque chose qui nous échappe. Ils deviennent les « effects » de Lacan d’un discours qui ne se dit pas.
Je m’autorise une autre remarque en lien avec mes observations, et soyons honnêtes avec mon expérience personnelle. Ces banalités du mal se retrouvent aussi dans les problématiques de place, qui se répètent de génération à génération comme : la parentalisation de l’enfant ; l’enfant de remplacement ; les difficultés d’être mère /femme, père/homme… Je pense que cette question de place est un des leviers qui active la culpabilité. Voilà un autre gros mot !
Elle a été ma compagne depuis que mon bateau a échoué sur ce gros caillou dur, la terre. Je la vois encore œuvrer autour de moi, et comment dans une mer paisible elle peut venir créer des sillons si profonds qu’ils brisent la sérénité et créés des tempêtes. La culpabilité est une arme très puissante pour organiser une emprise sur l’autre. Une personne déjà porteuse d’un sentiment de culpabilité[18] , consciente ou inconsciente, se retrouve à être une proie facile ou un destructeur incommensurable. Mélanie KLEIN en explique les origines « les pulsions et les sentiments du bébé s’accompagnent d’une sorte d’activité psychique qui m’apparait comme l’activité psychique la plus primitive : il s’agit de l’élaboration des fantasmes ou pour parler plus simplement, de la faculté d’imaginer. (…) Des fantasmes agréables accompagnent aussi la satisfaction réelle tandis que les fantasmes destructeurs sont associés à la frustration et aux sentiments de haine qu’elle éveille. (…) Ces fantasmes de destruction sont équivalents à des souhaits de mort (…) ces conflits fondamentaux (de haine et d’amour) influencent profondément le cours de la vie affective des adultes ainsi que l’intensité de leurs sentiments. »
J’ai pu observer qu’une personne sous l’emprise de la culpabilité se positionne généralement comme une victime et refuse de voir, accepter, prendre ses responsabilités. Toutes ces tensions internes sont tellement insupportables, qu’il y a comme une nécessité de s’en débarrasser et de la projeter chez autrui. Le risque est que la personne s’enferme dans le déni c’est-à-dire « l’action de refuser la réalité d’une perception vécue comme dangereuse ou douloureuse pour le moi »[19].
Me revoilà prête à reprendre ma navigation, au sein d’une nouvelle barque « la recherche de sens ». J’ai voyagé dans différents courants à la découverte de différents concepts et notions.
La première a été l’identification dont Laplanche et Pontalis définissent comme « psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identification. »[20]
Pour ensuite, rencontrer l’identification dont ces mêmes auteurs ont défini de la façon suivante : « « identification à l’agresseur » : « L’agression envisagée est l’attentat sexuel de l’adulte, vivant dans un monde de passion et de culpabilité, sur l’enfant présumé innocent. Le comportement décrit comme résultat de la peur est une soumission totale à la volonté de l’agresseur ; le changement provoqué dans la personnalité est « …l’introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte (…) »
Tiens ! ce signifiant fait lien avec le précédent. Je sens que je reprends de la force pour continuer mon voyage.
Ensuite, malgré le contre-courant, j’ai rencontré Bowlby et son concept de l’attachement pour lequel il précise en 1973, « Lorsque l’image d’attachement est également celle qui évoque la peur (par la menace ou la violence) : en pareille circonstance plutôt que de la fuir, de jeunes créatures humaines sont susceptibles de s’agripper à cette image hostile ou menaçante. »
Concept qui m’a invité à recroiser Lacan et son stade du miroir à partir duquel Jean Paul RICŒUR[21] écrit « Dans l’état amoureux, l’objet est aimé comme si le sujet le mettait à la place de cette image (image spéculaire du stade du miroir), c’est-à-dire de son propre moi. Et on peut dire que c’est littéralement son propre moi que le sujet aime dans « l’autre » de l’amour. » Lacan explique cette confusion dans la passion amoureuse entre image de soi et image de l’autre.
Pour ensuite découvrir l’objet petit a, et ce besoin de venir combler ce manque qui m’a rapproché de la notion de dépendance affective. Alain GIRAUD, psychanalyste, dans son article, « dépendance affective, un sujet incomplet »[22] décrit ce processus à partir des travaux de J. BOWLBY, sur l’attachement et D. WINICOTT autour de la relation mère-enfant. Il démontre que c’est lors du développement du petit d’homme, en fonction des carences de l’environnement que l’enfant, l’adolescent et ensuite l’adulte peut développer une dépendance affective. Il décrit cette recherche de complétude à partir d’un manque que la personne cherche à tout prix à combler.
« La personne dépendante affectivement est dans une souffrance narcissique, un cri qui exprime un besoin si intense au détriment d’un désir autonome. C’est en ce sens que le sujet abordera tous les moyens pour se nourrir de la présence de l’autre. Car c’est bien l’absence de l’autre partie d’elle-même qui est en cause, la partie autonome, indépendante, individuée, qui est absente et ce comportement du sujet se révèle ici comme une véritable souffrance. Le sujet dépendant affectivement est dans la dépendance de sa souffrance. »
Du clivage de l’objet à cette perte du moi, en passant par l’inaccessibilité au plaisir, je découvre, après avoir passé une vague narcissique qui a éveillé la perfectionniste en moi, les liens entre les pulsions de mort et leur demande d’amour comme désir.
Cette banalité de la haine rejoint l’amour comme signe. Signe[23] d’une demande : celle d’un amour qui a le visage du pouvoir. Désir de pouvoir qui s’exprime par l’agressivité, dont Sophie de MIJOLLA-MELLOR [24] présente comme :
« Celle qui est originaire, pure émanation de la pulsion de mort que la libido aura pour fonction de lier et de transformer en pulsion de destruction.
– Celle qui s’ajoute comme composante libidinale à la pulsion sexuelle et constitue la force qui permet de conquérir et maitriser l’objet ;
– Celle qui est totalement sexualisée dans le sadisme et le masochisme. »
Elle explique que la sublimation peut se faire de différentes façons. Une première qui se présente sous une volonté d’emprise liée au narcissisme du sujet « Substituer l’esclavage au meurtre est en soi une forme de sublimation (…)Renoncer à l’exercice du pouvoir de mort, c’est attendre un gain de plaisir narcissique supérieur à celui que procurait l’immédiateté de la réalisation pulsionnelle. » elle précise dans le contexte de l’angoisse de mort de la mélancolie, il y a « un abandon du moi par lui-même parce qu’il se sent haï et persécuté par le surmoi au lieu d’en être aimé (…) Le surmoi agit comme un tyran destructeur et sadique face au moi qui le subit comme une victime et les conséquences suicidaires ou criminelles, vont à l’inverse du processus civilisateur. »
Heureusement, après avoir changé d’embarcation, et lâché mon ancre dans une mer douce, une autre forme de sublimation apparait poussée par une volonté de changement.
C’est à partir de là que je me retrouve face à mon besoin de comprendre l’humain et de changer mon regard. La lecture du manque de Lacan, à partir de son concept de désir, « le désir est ainsi, si on peut dire, primitivement sous le signe du manque, d’un manque qui est originairement celui de la perte que le sujet subit du fait de naître et d’avoir à entrer dans un monde de parole : le sujet est morcelé (…) par le signifiant (…) ce qu’il nomme par un néologisme le parlêtre (…) cette perte subie par le sujet (…) qu’il nomme encore le « manque à être ». »[25]
En cure, c’est à partir de la chaîne des signifiants, que la personne donne à voir sa demande. Prendre la parole c’est se dévoiler à l’autre. S’autoriser à écrire, c’est poser l’encre. C’est accepter de laisser des blancs, de ne pas tout nommer.
Lacan précise que la dimension du manque empêche « la satisfaction pleine (…) Il va falloir à l’être humain, s’il veut avoir accès au désir, renoncer à ce qu’on pourrait appeler une pleine jouissance. Et c’est la fonction phallique qui indique le chemin de cette renonciation – c’est ce que la psychanalyse désigne comme loi universelle de la castration (…) cette jouissance phallique ne peut s’exercer qu’au travers de toute une élaboration qui met en jeu le langage et qui doit faire le détour par le fantasme. (…) dont le prix à payer est une fragilité de l’être parlant (…) dans son rapport à une satisfaction dénaturée. Conséquence de cette fragilité : l’angoisse peut s’en mêler et le symptôme y pointer son nez. »
Ici, en cure, à travers le transfert, prend corps cette demande d’amour.
Pour moi, le transfert prend sa source dans une expérience passée vécue, non remise à jour. Dit autrement, le transfert est une action associée à une représentation d’un vécu intériorisé et refoulé, qui est projeté, à l’extérieur, sur autrui. Saverio TOMASELLA [26], reprend la formulation de J.B PONTALIS, évoquée dans « l’étrangeté du transfert », « Le transfert est un agir, le transfert est une passion, non un dire (ou alors un dire qui est faire) et c’est ce qui rend si difficile, aussi bien pour le patient que pour le psychanalyste, d’en parler ». Quelques pages précédentes, Saverio TOMASELLA explique « Au premier abord, ces manifestations sous-jacentes peuvent parfois sembler un frein au bon déploiement d’une psychanalyse, du fait de leur caractère illusoire « le transfert apparaît comme une résistance du patient opérant une mésalliance, un faux rapport entre sa relation actuelle avec le thérapeute et une relation antérieure avec une personne importante de son entourage [27]» »
Il apparaît deux types de transfert : un premier dit positif, qui s’élabore à travers un lien d’amour, où chacun se reconnait et reconnait l’autre dans sa singularité en tant que sujet. Un second qui s’exprime à partir d’un sentiment de haine, que l’on appelle négatif, où l’autre est perçu à travers une image persécutante qui représente un autre imaginaire.
Ferenczi [28], affirme que le premier amour objectal se construit à partir du transfert. C’est-à-dire à partir « des rééditions, des reproductions d’impulsions et de fantasmes qui sont réveillés (…) J’ai décrit l’extension comme l’extension au monde extérieur de l’intérêt, à l’origine autoérotique, par l’introduction des objets extérieurs dans la sphère du moi (…) je considère tout amour objectal (ou tout transfert) comme une extension du moi, ou introjection, chez l’individu normal comme chez le névrosé (…)l’homme ne peut aimer que lui-même, et lui seul ; aimer un autre équivaut à intégrer cet autre dans son propre moi (…)c’est cette union entre les objets aimés et nous-mêmes, cette fusion de ces objets avec notre moi que j’ai appelée « introjection » et – je le répète – j’estime que le mécanisme dynamique de tout amour objectal et de tout transfert sur un objet est une extension du moi, une introjection. »
Ferenczi [29] rappelle aussi « qu’une plus ou moins grande partie du monde extérieur ne se laisse pas expulser si facilement du moi, mais persiste à s’imposer, comme par défi : aime-moi ou hais-moi, « combats-moi ou sois mon ami ». Et ce moi cède à ce défi et réabsorbe une partie du monde extérieur et y étend son intérêt : ainsi se constitue la première introjection, « l’introjection primitive ». Le premier amour, la première haine se réalisent grâce au transfert : une partie des sensations de plaisir ou de déplaisir, auto-érotiques à l’origine, se déplace sur les objets qui les ont suscités. (…) le premier amour objectal, la première haine objectale sont donc la racine, le modèle de tout transfert ultérieur qui n’est donc pas une caractéristique de la névrose, mais l’exagération d’un processus mental normal. »
Ces transferts se rejouent dans la cure, viennent se distiller pour permettre la construction de nouveaux rapports à l’autre, aux autres, au monde extérieur, mais surtout à soi. Pour moi, l’essence de ces relations analysant et analyste est « Amour empathique ». Relation qui exige de la part de l’analyste d’être hors préjugés, dans l’accueil de ce qui est, sans chercher à diriger, d’être ancré de façon juste à sa place, pour garantir un cadre sécurisant.
J’ai bien compris l’importance de la réponse apportée par le thérapeute, qui vient faire coupure dans cette répétition.
Cette réponse que j’associe au contre-transfert, dont Nathalie DUMET[30] fait le lien avec le corps est nécessaire dans la relation analysant – analyste. Tout signe est transfert, les ressentis corporelles du thérapeute symbolisent ce qui ne peut être dépasser par l’analysant. Ici je repense à cette personne, victime il y de cela 20 ans, d’une fausse couche. Elle a pu dire « je veux les garder en moi ». A chaque fois que cette personne vient en consultation, je ressens un poids dans mon ventre. J’accepte cette situation, car petit à petit, le deuil de ces pertes se fait. Et je sais, lorsque la personne sera prête, le contre-transfert sera possible.
Freud précise qu’on doit « exiger que le médecin reconnaisse et maîtrise en lui-même ce contre-transfert . » [31]
BION pour sa part, même s’il reconnait ce mécanisme de défense telle que proposé par Mélanie KLEIN autour de son concept d’identification projective, précise que « l’excès de données des sens non élaborées (ce qu’il appelait les éléments bêta). » demande, pour être traduite de façon apaisante, la fonction alpha de la mère, c’est-à-dire sa capacité à accueillir et reformuler les ressentis du nourrisson. C’est cette fonction alpha que l’analyste doit être capacitaire à incarner, car il peut comme la mère auprès de son nourrisson, renforcer l’identification projective « avec une force et une fréquence de plus en plus grandes »
Lacan[32] nous rappelle « la nécessité, si l’on veut comprendre quelque chose au transfert, d’élaborer cette notion d’amour en général, dans les aspects positifs comme dans ses aspects négatifs. Lacan insiste : il s’agit non pas de l’amour en tant qu’Éros, mais de l’amour tel qu’il est vécu par le sujet comme une véritable catastrophe psychologique. »
Mon voyage arrive à son terme, j’ai décidé de faire escale sur une terre inconnue, où je peux croiser encore d’autres mots, concepts, notions et personnages aussi passionnants les uns que les autres. Ma réflexion est loin d’être finie. Elle va continuer à s’élaborer, et peut-être, un jour je cesserai d’être une élève analyste, pour être psychanalyste.
En fait, la sublimation est un passage d’un amour, où la dépendance affective est maitresse, à un autre amour, où chaque sujet accepte son propre manque ; accepte de ne pas être compris par l’autre ; accepte l’idée d’une non-réponse. C’est-à-dire tendre vers son désir d’être et d’être avec l’autre, tout en acceptant l’absence de cet autre, sans condition et contrôle. Mais peut-être devons -nous rester fidèle à la réflexion de Lacan « Ce que le discours analytique apporte (…) c’est que parler d’amour est en soi une jouissance. » et « assurément, on ne peut pas en parler. » Est-ce que cette nouvelle perception de l’amour s’appelle inconditionnelle ? Lacan dit « aimer c’est accepter de se séparer », et je rajouterai de perdre.
Pour conclure, Je voudrais partager cette dernière rencontre au port de cette nouvelle terre avec un personnage troublant : Adler [33]
Il apparait être originaire d’une terre située au détour d’un nouveau courant[34], où poussent les fruits du désir d’être autonome et de vivre en harmonie avec les autres. « Quand je suis avec cette personne, je peux me comporter vraiment librement ». Selon Adler il faut être courageux. Ce courage consiste d’entrer dans son authenticité, être vrai avec soi-même, de cesser de répondre aux attentes des autres et pour cela ne pas s’initier dans les tâches qui incombent à autrui. Être à sa place, c’est être dans l’amour. Incarner ses choix, c’est diffuser l’amour.
Accepter d’entrer au cœur des banalités de la haine et de l’amour, permet d’accéder à un langage structuré, c’est-à-dire l’inconscient.
[1] https://www.cnrtl.fr
[2] https://www.lejourduseigneur.com/bible/diable
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucifer
[4] https://www.larousse.fr
[5] https://www.cnrtl.fr
[6] https://www.wikiwand.com/fr/Régime_de_banalité
[7] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/arendt-la-banalite-du-mal-5131944- Martine LEIBOVICI maître de conférences émérites en philosophie politique à l’université de Paris
[8] « Les mécanismes de défense- Théorie et clinique » Serban IONESCO, Marie Madeleine JACQUET, Claude LHOTE
[9] « Emprise psychologique » Geneviève Payet dans L’Aide-mémoire de psychotraumatologie
[10] https://www.cairn.info/revue-sud-nord-2016-2-page-25.htm- Françoise DAVOINE, enseignante à l’EHESS et psychanalyste
[11] « Le génie du fœtus » Jean Marie DELASSUS
[12] « L’amour et la haine » Mélanie KLEIN et Joan RIVIÈRE
[13] « La signification du phallus – conférence de Jacques LACAN le 9 mai 1958 Les Écrits p.685-695 – Séminaire ‘’ le féminin … encore’’ le 15 mars 2011 de Philippe COLLINET https://psychaanalyse.com/pdf/MYTHE_LACAN_LA_SIGNIFICATION_DU_PHALLUS.pdf
[14] Phallus et fonction phallique chez LACAN Dans Psychanalyse 2007/3
[15] https://youtu.be/u5x0ynqHvno?si=eA0hHqcSpgpmaA2x
[16] « L’écorce et le noyau » Nicolas ABRAHAM, Maria TOROK 1987
[17] « Instance de La personnalité, résultant de la convergence du narcissisme (idéalisation du moi) et des identifications aux parents, à leurs substituts et aux idéaux collectifs. En tant qu’instance différenciée, l’idéal du moi constitue un modèle auquel le sujet cherche à se conformer. »
[18] « Sentiment de culpabilité, regret ou remords de celui qui a commis une faute. Spécialement. Complexe de culpabilité, le fait de se croire coupable de fautes imaginaires, ou d’exagérer sa responsabilité à l’égard de fautes réelles, et d’en attendre une punition ». https://www.dictionnaire-academie.fr
[19] « Les mécanismes de défense- Théorie et clinique » Serban IONESCO, Marie Madeleine JACQUET, Claude LHOTE
[20] « Vocabulaire de la psychanalyse » J. LAPLANCHE et JB PONTALIS
[21] « Lacan, l’amour » Jean Paul RICOEUR, dans Psychanalyse n°10, 2007
[22] Alain GIRAUD Psychanalyste Avignon https://alaingiraudpsy.com/article/dependance.php
[23] JD NASIO, dans « CINQ LEÇONS SUR LA THÉORIE DE jacques LACAN », décrit le signe comme ce qui représente quelque chose pour quelqu’un, pour celui qui souffre et parfois pour celui qui écoute. Le côté signe du symptôme constitue le facteur qui favorise l’installation et le développement du transfert.
[24] Sophie DE MIJOLLA-MELLOR « sublimation de l’agressivité » dans la sublimation – 2012
[25] « Lacan, l’amour » Jean Paul RICOEUR, dans Psychanalyse n°10, 2007
[26] « Pour qui le transfert me prenez-vous ? » Saverio TOMASELLA
[27] « Sigmund FREUD, sa vie, son génie, ses limites » » Claude NACHIN
[28] « Transfert et introjection » Sándor FERENCZI
[29] « Transfert et introjection » Sándor FERENCZI
[30] Ibid.
[31] « Corps et contre-transfert en psychanalyse : quelles idéologies à l’œuvre ? La théorie à l’épreuve de la clinique » Nathalie DUMET dans Cahiers de psychologie clinique 2011/1
[32] « Lacan, l’amour » Jean Paul RICOEUR, dans Psychanalyse n°10, 2007
[33] https://institut-alfred-adler-paris.fr/qui-est-alfred-adler/bio-alfred-adler/
[34] « Avoir le courage de ne pas être aimé » Ichiro KISHIMI et Fumitake KOGA