L’ENGAGEMENT du psychanalyste

Un mouvement créateur, actif, au service de la pulsion de vie

L’acte de naissance représente un engagement, ainsi, ce mouvement de naissance lorsque la tête de l’enfant paraît, se répète chaque jour, à chaque direction, décision, libération, voyage. Cependant, comme il s’agit d’un traumatisme (Réf. : Le traumatisme de la naissance d’Otto Rank, psychanalyste), il se doit d’être transformé, sublimé, afin qu’il soit utilisé comme un mouvement créateur, actif, au service de la pulsion de vie, pour libérer, assumer sa singularité, son unicité, son inné.

Ainsi, comme l’écrit Donald Winnicott, psychanalyste : « si « Le sentiment de continuité d’être est acquis… la capacité d’être seule repose sur un paradoxe : être seul en présence d’un autre… C’est le signe d’une maturité psychoaffective ». Encore faut-il comme le précise Donald Winnicott, que le nourrisson puis l’enfant s’engage par le « Je », puis qu’il s’engage par le « Je suis », puis qu’il s’engage dans le temps par le « Je suis seul » qui lui permettra dans sa vie, de se réaliser, de s’engager pour lui-même et avec les autres. Plus le psychanalyste s’engage, avec une méthode et une méthodologie, plus il stimule son patient à s’engager lui-même.

L’engagement du psychanalyste « passe » par « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique » en référence à l’article de jacques Lacan, psychanalyste. C’est Donald Winnicott dans « Jeu et réalité » qui insiste sur le fait que le bébé lorsqu’il tourne son regard vers le visage de la mère, se voit lui-même. En d’autres termes, la mère regarde le bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit. Ainsi, si le bébé ne reçoit pas en retour ce que lui-même est en train de donner, s’il regarde mais ne se voit pas, ses capacités créatrices et les échanges significatifs ne seront pas suffisamment stimulés donc stimulants. Ainsi, plus le psychanalyste va s’engager dans le miroir avec son analysant, plus celui-ci « trouvera son propre soi et sera capable d’exister et de se sentir réel. Se sentir réel, c’est plus qu’exister, c’est trouver un moyen d’exister soi-même… ».

Le thérapeute met à la disposition du patient son appareil psychique

 

En fait, le psychanalyste va utiliser son « Moi auxiliaire », qui est un principe décrit par W. R. Bion, psychanalyste, en 1967. Le thérapeute met à la disposition du patient son appareil psychique, pour le soutenir dans un travail d’intégration, de mise en lien, de symbolisation, de prise de conscience, d’élaboration psychique. André Green, psychanalyste, propose que « l’autre doit devenir un Moi Auxiliaire, pour pouvoir me soutenir ».

La transformation, la sublimation, le rétablissement, se fait par le biais du transfert, et du contre-transfert, d’une communication non biaisée avec l’autre, qui permet une restructuration. Le psychanalyste accepte d’être pour un temps le Moi-auxiliaire que le patient n’a pas eu, afin de lui détoxiquer son vécu.

Engager les professionnel(le)s à verbaliser ce que cette situation leur renvoie en miroir

En supervision, écouter, recevoir la détresse des professionnel(le)s qui accueillent la souffrance de ceux qu’elles/ils accompagnent est fondamentale pour qu’à leur tour, ils/elles puissent symboliser, transformer ces décharges pulsionnelles destructrices en capacité d’élaboration et de mises en sens. Une éducatrice de jeune enfant pleure son sentiment d’impuissance face à la passivité de parents porteurs de handicap dans l’accompagnement de leur enfant. Engager les professionnel(le)s à verbaliser ce que cette situation leur renvoie en miroir, comme exaspération, colère, inquiétude, injustice, les aide à supporter « l’insupportable » : « Est-ce que ma posture est suffisamment bonne ? », « Je suis déçu de quoi ? », « Et si j’étais l’enfant ? », « Comment les parents ne voient-ils pas ? », « A quoi bon, continuer à proposer des postures éducatives ? ». A ce moment-là, nous pouvons engager / souligner le « bon narcissisme », en supervision, j’invite alors, les autres professionnel(le)s à rappeler les évolutions notées chez cet enfant depuis leur prise en charge, ainsi que chez les parents. Ceux-ci ont accepté que l’enfant aille en crèche, ils jouent plus souvent avec lui… L’équipe professionnelle continue de s’engager, lorsqu’on s’engage, si l’on s’aime suffisamment, si l’on prend suffisamment soin de soi, notre posture professionnelle sera d’autant plus contenante, comme l’écrit Anne Dufourmantelle, psychanalyste, dans son ouvrage : « La puissance de la douceur » : « La douceur est un rapport au temps qui trouve dans la pulsation même du présent la sensation d’un futur et d’un passé réconcilier, c’est-à-dire d’un temps non divisé. Ce temps réconcilié permet la vie, et aide à lâcher les compulsions de répétition ». Elle ajoute : « Dans son écoute, le psychanalyste essaie d’aller à la rencontre de ce qui ne se dira pas, d’entendre dans les hésitations, l’émotion qui retient d’autres mots interdits, effacés ».

C’est à ce niveau que Donald Winnicott élabore sa conception vraiment novatrice et originale du contre-transfert : « Le patient active chez l’analyste des motions pulsionnelles qui ne sont pas seulement un résidu non analysé qui viendrait gêner le travail analytique, qui ne sont pas non plus seulement le dépôt des identifications projectives déposées dans l’analyste par le patient ».

Donald Winnicott parle de la relation de fusion narcissique nécessaire entre le patient régressé et son analyste. Cet état permettrait donc une fusion primitive archaïque avec l’inconscient lui-même dans la relation analytique, ce serait à ce moment-là le travail spécifique dévolu à l’analyste de construire quelque chose à partir de ses mouvements contre-transférentiels.

Il s’agit de l’élaboration d’une aire de travail en commun, l’analyste doit savoir attendre le moment où son patient aura atteint une maturation suffisante lui permettant d’intégrer ce qu’il n’a pas pu encore vivre pour son propre compte, ce dont il ne peut avoir conscience et qui ne viendra au jour que par ce passage obligé du contre-transfert de son analyste.

 

C’est parce que l’analyste pourra les accueillir en lui, les reconnaître, les analyser pour son propre compte et les vivre authentiquement avant de les restituer au patient que le travail analytique aura des chances de pouvoir aboutir à un travail mutatif véritable.

 

Le psychanalyste cultive sa position juste, mature ou génitale, c’est-à-dire qu’il n’agresse pas l’autre, qu’il n’utilise pas de rapport dominant-dominé, qu’il n’abîme pas l’autre, qu’il ne réduit pas l’autre, qu’il ne se met pas en rivalité avec l’autre. A contrario, il utilise sa singularité, sa maturité, sa posture sécure pour faire advenir la singularité, l’unicité chez l’autre.

 

C’est ce miroir psychique qui peut servir de support humanisant …

L’authenticité dans le miroir psychique aide le patient où le groupe en supervision à être authentique à son tour.

 

Il s’agit de « Partager la part d’ombre », écrit Irvin Yalom, psychanalyste, in « L’art de la thérapie » : « Nous autres thérapeutes devrions être conscients de nos côtés sombres et détestables, et les partager avec nos patients peut leur permettre de cesser de se stigmatiser pour leurs transgressions réelles ou imaginaires ».

 

Le psychanalyste peut s’appuyer sur cette modalité pour aider à l’élaboration psychique, là où il y a des résistances, c’est le cas avec Chloé, une patiente qui présente un affect de mauvaise mère et qui culpabilise de ne pas savoir gérer son fils qu’elle accueille seule, une semaine sur deux. Je lui renvoie en cure : « Je peux vous partager que le mercredi lorsque je gère mes trois enfants, je n’en peux plus, il m’arrive d’appeler mon mari ou une amie afin de transformer mes pulsions agressives, il m’arrive d’hurler, … ». A ce moment-là, la patiente me regarde, étonnée, interloquée. En utilisant cette aire de travail réflexive en commun, en lui renvoyant que, je peux moi aussi partager cette détresse, elle y voit en miroir un autre soi-même et en miroir, s’y refléter, y voir cet aspect universel d’une position humaine partagée, ce qui va humaniser son ressenti qu’elle pensait singulier afin de le transformer. Elle verbalise alors : « vous aussi, cela vous arrive, vous aussi, vous ressentez cette haine parfois pour vos enfants, c’est normal alors !! », en référence à « L’amour et la haine » de la psychanalyste Mélanie Klein.

Comme l’écrit Anne Dufourmantelle, in La puissance de la douceur : « Pour approcher, voire guérir d’un trauma, il faut pouvoir aller jusque-là où le corps a été atteint. Il faut coudre une autre peau sur la brûlure de l’événement. Fabriquer une enveloppe protectrice sans quoi aucune délivrance n’est possible, car alors le trauma fera hantise dans la vie de l’individu. La douceur est l’une des conditions de cette reconstruction ». Elle insiste en poursuivant : « A ce moment-là je ressens que : « La puissance de l’écoute est activante, dans ces plis –au sens où l’entendait Deleuze- de la psyché qui sont autant de micros enregistreurs du réel ».

Conclusion

Enfin s’engager en tant que psychanalyste, c’est utiliser « la révolution narcissique » selon l’expression de Marie de Hennezel – psychologue. C’est en relisant le texte « Le narcissisme » de Lou Andreas-Salomé, psychanalyste, que Marie De Hennezel trouve une sorte de réponse aux interrogations sur l’intégrité narcissique dont nous sommes témoin dans les situations d’accompagnement. Elle écrit : « Plus, je suis « intègre et engagée et plus je vais aider l’autre à être intègre et engagé ». Le patient vient travailler son vrai-self et lâcher son faux-self. Ce narcissisme a la particularité de ne pas être fondé sur le déni de la mort ou de la solitude.

Elle explique qu’au contraire : « il me semblait d’autant plus solide que la personne était consciente de ce qui fait « notre communauté blessure et solitude ». Bref un narcissisme « autre », qui me donnait l’impression que les personnes que j’écoutais, et qui exprimaient un « sentiment continu d’exister », avaient gardé une certaine confiance en elles-mêmes et dans la vie. Elle souligne : « Cet « autre narcissisme » semblait intact ».

Comme si vieillir ou vivre de multiples expériences développaient un quantum de tendresse vis-à-vis de soi et des autres.

Si l’engagement de soi, est humanisant pour soi, il le sera pour l’autre et vice-versa.

Mireille Sejalon / Psychanalyste et psychologue

Mireille SEJALON - Psychanalyste, Psychologue clinicienne, Didacticienne

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