Psychanalyse et Apnée

« Il n’y a de signifiant que de ce que dans la langue provient du corps » Jacques Lacan.

En reliant la psychanalyse avec la pratique de l’apnée, je fais l’hypothèse que la régression thalassale peut être utilisée comme une tentative de rencontre avec soi. Je propose alors au sujet, dans une unité régressive, de venir travailler la division signifiante en réactualisant la coupure fondatrice. L’idée étant d’accompagner le travail de remémoration du passé refoulé et le travail sur les résistances présentes à cette remémoration.

A l’origine,

 

 l’apnée vient du mot Apnoia qui, en grec, signifie absence d’air, absence de souffle. Il me paraissait évident, qu’en abordant la pratique de l’apnée, il était incontournable de penser la notion d’immersion. Omniprésente dans les discours contemporains, elle rend compte d’individus entièrement pris dans leur activité, inclus, couplés, absorbés, totalement à un milieu, qu’il soit aquatique ou non. Ainsi, le plongeur s’immerge dans le milieu aquatique, le pianiste est immergé dans la musique qu’il produit, l’ethnologue immergé dans le terrain qu’il explore, etc… L’immersion aquatique n’est pas submersion aquatique, mais elle peut le devenir. Dans les sociétés anciennes, l’immersion aquatique fut longtemps associée à une symbolique initiatique ou purificatrice : saut dans la mer chez les grecs, immersion prolongée chez les Bantous à la suite de laquelle le jeune homme renaît et peut apprendre la divination. Dans la religion chrétienne, le baptême est une ablution purificatrice et initiatrice, permettant d’accéder à la régénérescence. Quant au baptême par immersion, il est répétition rituelle du déluge. Dans toutes les religions, l’immersion aquatique symbolise la régression dans le pré-formel et la réintégration dans le monde indifférencié de la préexistence.

Mihaly Csikszentmihalyi, le psychologue qui a élaboré le concept du flow, nous dit que : « les meilleurs moments de notre vie ne sont pas les moments passifs, réceptifs et relaxants. Les meilleurs moments se produisent généralement quand le corps et l’esprit d’une personne sont poussés à leurs limites dans un effort volontaire afin d’accomplir quelque chose de difficile qui en vaut la peine ».
Avec le commandant Cousteau, « l’homme retourne à la mer », le poumon est devenu aquatique et l’homme en passe de devenir un poisson, comme le rappelle la plupart des pionniers ravis de se fondre dans ce milieu où ils meuvent horizontalement avec des nageoires aux pieds et les yeux grands ouverts. Dans son premier film « Par dix-huit mètres de fond », en 1942, il évoque « une mer accueillante pour ceux qui la connaissent » et qui « nous lave de nos soucis, comme elle nous débarrasse de l’apesanteur ».
Alain Corbin, historien français, parle plutôt de « délectation, de modèles de contemplation ou de confrontation ; en ce lieu où la respiration s’accorde à celle de l’Univers, où se déploient librement les fantasmes… ».
Ainsi, d’un point de vue clinique, la métaphore de l’apnée ouvre un espace de retour à la division signifiante avec un corps pris comme opérateur de la coupure fondatrice. A travers le corps du plongeur soumis aux résistances de la pression exercée par l’eau, le Grand Autre qui constitue ici l’altérité radicale, va nous permettre de travailler et de faire travailler ce qui est soi et ce qui est perçu d’autrui, qui n’est pas soi…

La séance analytique consisterait alors à « utiliser » le fantasme de la remontée à l’avant-trauma, à l’avant naissance, pour réinvestir la coupure fondatrice du sujet barré par une plus grande « conscientisation de
son ex-distance ».
Il s’agit de saisir ce « temps » non pas comme une négation de la coupure fondatrice mais plutôt comme une façon de la faire évoluer vers une plus grande individuation, une identité de moins en moins fantasmé.
J’en reviens à un concept essentiel pour moi qui serait que la contrainte de la contrainte serait un plus de libertés pour le sujet.
Selon le travail présenté en amont, la technique de l’apnée nous invite à prendre une dernière inspiration avant de plonger dans les profondeurs [de l’inconscient]. Par un mouvement de retournement, on s’engage « tête la première » vers la descente. Les premières douleurs apparaissent alors au niveau des oreilles et de la cage thoracique. La pression se fait de plus en plus sentir… En dessous des trente mètres, il n’y a plus de gravité, c’est la phase dite de la « chute libre ».

Le plongeur [cosmique ?] descend ainsi sans effort vers le trésor des signifiants, le lieu où se constitue le sujet comme effet du signifiant. Il remonte au cours de la descente vers l’origine du corps, là où les poumons se compriment avec la pression de l’eau pour se retrouver seul dans le froid et le noir absolu. Les sons passent encore. C’est d’ailleurs la seule chose qui nous relie à l’extérieur et à l’environnement. On peut évoquer à ce niveau la narcose et l’ivresse des profondeurs.

Le plongeur doit faire ici le choix de quitter cet état de bien-être délirant pour commencer à souffrir pendant la remontée. En débutant sa descente, il a 12 litres d’air dans les poumons. En arrivant à ce niveau de profondeur, il n’a plus qu’un demi litre. Les spasmes, le corps réclament de l’air… c’est paradoxal mais c’est en acceptant cette douleur qu’elle se fait moins présente. Ici, le plongeur se cogne au Réel, il se heurte au poids de la résistance de l’eau. Au fil de la remontée, la cage thoracique reprend progressivement sa place et une fois en haut, le plongeur peut prendre une première nouvelle inspiration.
Pour conclure, les métaphores de l’apnée et du plongeur cosmique peuvent être utilisées pour transmuter un processus régressif en passant par les mouvements contraints du corps pour aboutir à une renaissance à soi, à une ex-distance plus éclairée…


PS : la représentation que fait Marc Chagall de l’épisode du Déluge (1961-1966) avec les eaux diluviennes qui semblent avoir envahi la toile et l’Arche, dans une atmosphère vaporeuse, devient la matrice où s’opère la seconde naissance de l’humanité. Le Déluge détruit en effet que ce qui est déjà usé et en voie de destruction. Il est donc toujours suivi par l’apparition de quelque chose de nouveau et symbolise la renaissance et l’irruption d’une nouvelle époque.

Jérôme BERTHA, Psychanalyste Humaniste Initiatique, Psychologue clinicien

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